Sa Toute-Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée World Policy ConLa religion, espoir dans un monde en mutation
Éminences,
Excellences,
Honorables participants,
Cher Thierry de Montbrial,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
La fin de la guerre froide a créé un grand élan d’espoir partout dans le monde. Les deux décennies qui l’ont suivie ont semblé confirmer ces attentes. Un vent de liberté a soufflé sur le monde entier. Les marchandises, les capitaux, les informations et les personnes, désormais débarrassés des obstacles à leur circulation, ont commencé à se déplacer librement à travers le globe.
Cette liberté, résultat de l’abaissement des frontières, s’est combinée avec des progrès fulgurants dans les transports et surtout dans les moyens de communication. L’activité économique a pu bénéficier de la fluidité généralisée. La croissance économique, le recul de la pauvreté et la diminution des inégalités sur le plan mondial n’ont pas seulement confirmé les espoirs mais sont allés bien au delà de ce qu’on a pu imaginer au moment de la chute du mur.
Quinze ans nous séparent de la première grande déception:
« la crise des subprimes ». Depuis, les crises se succèdent: crise environnementale et climatique, crise du covid, crises géopolitiques avec l’invasion de l’Ukraine et la guerre entre le Hamas et Israel, crise énergétique, crises migratoires, crise de la démocratie. L’avenir s’assombrit de plus en plus.
Si l’économie et la politique ne peuvent plus inspirer l’espoir, est-ce que nous pouvons nous tourner vers la religion?
Pour les personnes, les familles et les communautés, la religion a toujours constitué une source d’espoir et de réconfort. Mais cet aspect, certes fondamental pour la mission des institutions religieuses, n’est pas l’objet de notre réunion. La question posée se rapporte à une échelle plus large: celle du devenir global. Elle concerne l’influence politique et géopolitique de la religion.
Dans le nouveau contexte mondial, celui d’un interrègne entre un monde que nous laissons derrière nous et une nouvelle organisation qui n’a pas encore pris forme, la religion représente en effet un enjeu majeur. Elle peut inspirer d’importants espoirs; mais elle peut aussi être utilisée comme une arme. L’extrême diversité du fait religieux, combinée à l’ambiguïté de la distinction entre ce qui est “religieux” et ce qui ne l’est pas, entraîne des amalgames et des confusions, rendant toute généralisation complexe. Malgré ces précautions, nous tenterons d’avancer quelques idées et de proposer des pistes de réflexion.
La religion, facteur de renouveau démocratique
Les énormes progrès technologiques depuis le XIXe siècle ont créé un sentiment d’arrogance, qui est à l’origine de l’exploitation irréfléchie des ressources naturelles et du mépris pour les équilibres des systèmes naturels. Cette hybris s’est étendue au domaine des relations humaines. Les critères économiques, définis dans une logique inspirée des méthodes des sciences physiques, sont devenus prédominants dans l’organisation des rapports humains, à toutes les échelles : à l’intérieur des États, entre États, et, de plus en plus, dans l’émergence de réseaux transnationaux. Le même réductionnisme qui a conduit aux crises environnementales et sanitaires explique également, en grande partie, les dérives dans les relations humaines. Décennie après décennie, les préoccupations spirituelles et éthiques ont régressé, malgré les leçons de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste.
Les conséquences de cette évolution sont évidentes. Crise des institutions, crise de la démocratie, hausse de la criminalité, xénophobie, et affaiblissement du sens de la citoyenneté sont les résultats directs de cette régression spirituelle et éthique.
Les religions et leurs institutions ont résisté à cette tendance. Elles ont souvent été marginalisées, en partie à cause de leur non-adaptation. Pourtant, aujourd’hui, leur résistance devient un atout. Dans leurs enseignements, leurs rituels, et l’organisation des liens sociaux, les religions mobilisent une sagesse accumulée sur des millénaires. Elles opposent la profondeur et la résilience de la temporalité longue à la superficialité et la fragilité de l’éphémère. De plus en plus de personnes se tournent vers la religion à la recherche de spiritualité et d’espoir.
Les religions ont, dans leurs traditions, les éléments nécessaires pour combler le vide qui s’est installé dans les âmes. Elles peuvent contribuer à redonner du souffle aux sociétés démocratiques.
La religion comme lien entre les peuples
La globalisation a unifié le monde de manière superficielle. Aujourd’hui, on constate de fortes tendances vers la fragmentation. Cette réorganisation de l’espace va au-delà de la dimension économique. Les fractures qui émergent ou resurgissent sont également politiques, géopolitiques et identitaires.
Un des principaux aspects de cette tendance concerne les relations entre l’Occident et le reste du monde. Les crises ont touché de manière bien plus prononcée les pays pauvres, beaucoup d’entre eux accusant les pays développés de faire preuve d’égoïsme et de manquer de solidarité. Les souvenirs de l’époque coloniale resurgissent. L’invasion russe en Ukraine et maintenant la terrible guerre entre le Hamas et Israel ont révélé un fossé spirituel grandissant entre ces deux blocs, et ce, malgré l’extrême diversité qui caractérise ce que l’on appelle le Sud global.
Où se situent les religions face à ce défi ?
La répartition géographique des religions est, certes, complexe. Toutefois, la plupart des réseaux religieux s’étendent à travers les continents et franchissent les frontières. Ils forment donc une structure spirituelle qui peut aider à atténuer les forces de dissociation et de division. L’unité prônée par les religions ne se limite pas à la seule dimension économique, comme celle de la globalisation. Elle se fonde sur d’anciennes traditions ancrées dans la “longue durée” : les siècles durant lesquels différentes religions ont cohabité sur un même territoire et des territoires variés ont été le berceau d’une religion commune.
Dans un monde actuellement menacé par la fragmentation, les religions peuvent offrir un espoir d’unité. Leur rôle de médiation pourrait faciliter le dialogue entre des mondes économiquement, politiquement, et culturellement distincts.
Le Patriarcat œcuménique de Constantinople, présent dans le monde entier, est un exemple notable. Sa présence et son acceptation pourraient s’avérer particulièrement bénéfiques. Sa longue histoire de coexistence, de dialogue et d’échanges, non seulement avec le judaïsme, mais aussi avec l’islam, est un véritable atout pour le monde chrétien.
La religion dans la protection de l’environnement
Bien que le lien avec la religion ait connu un recul considérable en Occident, la religiosité demeure présente dans le reste du monde. Les régions enregistrant une forte croissance démographique, notamment l’Inde et, encore plus, l’Afrique, continuent d’accueillir des communautés religieuses grandissantes. Ainsi, les institutions religieuses ont le potentiel d’atteindre, par leurs enseignements, davantage d’individus que les organisations internationales, les think tanks ou les ONG.
Dans le domaine de la protection de l’environnement, le nombre d’individus sensibilisés est crucial. Ce sont d’innombrables gestes individuels qui entraînent la dégradation des paysages, les atteintes à la flore et à la faune, la pollution des océans et toutes les autres formes de destruction induites par l’activité humaine. La capacité d’influencer ces actes individuels peut donc avoir un impact considérable. Mobiliser les institutions religieuses pour enseigner le respect de l’environnement est par conséquent essentiel.
Le Patriarchat œcuménique a pris conscience de ce besoin très tôt. Nous restons activement engagés dans le dialogue inter-religieux pour la protection de l’environnement.
La religion instrumentalisée
L’idéal d’unification de l’humanité sur la base de la rationalité économique, loin de rassurer, a engendré des angoisses identitaires et des ressentiments. Après avoir poursuivi l’idéal de la liberté et de la prospérité pour tous, c’est désormais la quête de la sécurité et du prestige qui prédomine. La fragmentation que nous observons découle de cette évolution.
Dans ce contexte, la religion devient une ressource politique majeure, car elle peut fonctionner comme élément de différenciation des populations. Ceci a été observable lors de la crise ukrainienne, où elle a été fréquemment instrumentalisée dans des antagonismes politiques et géopolitiques.
On a souvent tendance à considérer son rôle géopolitique à travers le prisme des confrontations entre populations de religions différentes. Ainsi, la thèse célèbre de Samuel Huntington sur le “Choc des Civilisations” envisageait le monde divisé en grands blocs religieux. Pourtant, la réalité est tout autre. La valorisation de la religion comme marqueur identitaire et instrument de pouvoir génère des conflits aussi intenses au sein même des grands ensembles religieux. D’où un paysage complexe de tensions entre religions et à l’intérieur des religions.
Cette géopolitisation de la religion confère d’énormes responsabilités aux institutions religieuses. Elles ne peuvent ignorer les aspirations des populations à l’indépendance et à la liberté. En parallèle, il est primordial d’accentuer le rôle apaisant et pacificateur de la religion. La riche expérience des institutions religieuses est cruciale.
Il est indéniable que la religion est parfois présente dans des situations de conflit et de guerre. Le fanatisme religieux a mené à d’atroces crimes, et, malheureusement, diverses formes d’oppression et de discrimination continuent d’être justifiées par des discours religieux. Cependant, doit-on blâmer la religion en tant que telle, ou plutôt ceux qui la déforment à des fins politiques?
Si l’on parvenait à éliminer la religion, comme le souhaitaient certaines idéologies, aurions-nous aussi éradiqué les causes de haine, de conflits et de crimes ? Le domaine religieux est un champ de bataille où le meilleur côtoie le pire. Mais ce qui rend la religion fondamentalement positive, c’est son ancrage historique. Les institutions religieuses séculaires détiennent un patrimoine de sagesse qui leur permet de contrer les plus grands dangers. Cette perspective devient évidente lorsqu’on considère les ravages causés par les idéologies de la modernité, dépourvues d’une telle profondeur historique.
Ainsi, le diagnostic concernant le rôle des religions dans les conflits est nuancé. Si la religion est souvent instrumentalisée à des fins étrangères à son essence, l’engagement des institutions religieuses dans les situations de conflit peut aussi modérer leur virulence.
Conclusion
Dans un monde en constante évolution, confronté à des crises et exposé à des menaces à court et long terme inédites il y a quelques décennies, le rôle de la religion est indubitablement positif. Elle représente ainsi un vecteur d’espoir. Cependant, les réflexions précédentes démontrent que cette question est complexe. En effet, dans certaines circonstances, la religion peut aussi être associée à des comportements négatifs. De ce fait, une immense responsabilité repose sur les épaules des institutions religieuses et de leurs dirigeants. Sans renier leurs doctrines et convictions, les responsables des différentes religions se doivent de coordonner leurs efforts afin de magnifier les effets bénéfiques de leurs traditions ancestrales. C’est pour cette raison que le dialogue inter-religieux est primordial.
Le renforcement croissant du rôle des religions peut donc susciter de l’espoir. Cet espoir doit être consolidé par une attention accrue des milieux académiques et de la recherche. Nous attendons de ces milieux une contribution originale, innovante et positive à une meilleure connaissance de la géopolitique des religions, dans un souci d’action. Comme nous le soulignions lors de notre précédente réunion :
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