– Traduction française de l’interview de l’Archevêque Job de Telmessos par Mauro Castagnaro dans la revue italienne Missione Oggi d’avril/mai 2016, p. 25-26.
Que signifie pour les orthodoxes célébrer un concile après plus de 1000 ans?
Ceci n’est pas tout à fait exact. Il y a eu des conciles dans
l’Eglise orthodoxe depuis le VIIe concile œcuménique (787). Pensons ne
serait-ce qu’aux conciles de Constantinople de 869-870 ayant d’abord
déposé puis rétabli le patriarche Photius. Ou encore aux conciles
hesychastes du XIVe siècle réunis à Constantinople, dont celui des
Blachernes de 1351 où triompha l’enseignement de Grégoire Palamas. Ou
plus récemment le grand concile de Constantinople de 1872 qui condamna
l’hérésie de l’ethonophyletisme. Dans cette tradition ininterrompue de
la synodalité, l’Eglise orthodoxe lança dès le début du XXe siècle
l’idée de convoquer un grand concile, à l’époque où de nouvelles Églises
autocéphales étaient apparues et que l’Eglise orthodoxe s’engageait
dans le mouvement œcuménique, pour faire le point sur les relations
entre ces Églises, les relations avec le reste du monde chrétien et les
relations avec la société contemporaine.
Pourquoi le patriarche de Constantinople a estimé en 2014 que le moment était venu de le convoquer ?
La préparation du saint et grand concile a été initié par le
patriarche œcuménique Athénagoras en 1961 lors de la première conférence
pan-orthodoxe de Rhodes. Puis elle fut mise en peu en 1976 lors de la
première conférence préconciliaire pan-orthodoxe de Chambésy (Genève).
Cette préparation d’un demi-siècle a abouti à l’élaboration de textes
sur les thèmes retenus qui furent approuvés à l’unanimité par toutes les
instances préconciliaires préparatoires pan-orthodoxes et le moment
était enfin venu de les soumettre au concile.
Le patriarche de Constantinople a déclaré que l’Eglise doit
dialoguer avec le monde contemporain et non se retirer en marge de
l’histoire. Comment ce thème sera développé au Synode?
Dans le cadre de la préparation du Concile, un texte a été élaboré
sur « La mission de l’Eglise orthodoxe dans le monde contemporain ». Il
est accessible sur internet. Il traite de la dignité de la personne
humaine, de la liberté, de la paix et de la justice, de la prévention de
la guerre et des discriminations, et du témoignage d’amour que doit
rendre l’Eglise dans le monde. C’est ce texte qui sera discuté au
concile.
L’ordre du jour du Synode comprend 8 grands thèmes: la
diaspora orthodoxe, l’autonomie et la manière de sa proclamation, la
question d’un calendrier commun, empêchements de mariage, l’adaptation
de la réglementation de l’Église sur le jeûne, les relations des Églises
orthodoxes avec le reste du monde chrétien, l’Orthodoxie et le
mouvement œcuménique, la contribution des Églises orthodoxes locales à
la prévalence des idéaux chrétiens de paix, de liberté, de fraternité et
d’amour entre les peuples, et la levée de la discrimination raciale et
d’autres. Sur lequel de ces thèmes les différentes Églises ont conclu
des accords et sur lesquels il y a encore différentes positions?
Ce n’est pas exact. La question du calendrier a été reportée à un
concile ultérieur. Les thèmes du mouvement œcuménique et de la relation
avec le autres Églises et confessions chrétiennes ont été réunis en un
seul: « Les relations de l’Eglise orthodoxe avec l’ensemble du monde
chrétien ». Ainsi, il y a six thèmes à l’ordre du jour du concile qui
ont été approuvés à l’unanimité par l’ensemble des Églises locales
orthodoxes, même si, malheureusement, l’Eglise de Géorgie n’a pas signé
le texte sur « Le sacrement du mariage et ses empêchements ».
Parfois, il parait exister une certaine concurrence entre
le Patriarcat de Constantinople et le patriarcat de Moscou, tandis que
des conflits ont eu lieu récemment entre les patriarcats d’Antioche et
de Jérusalem. Qu’est qu’il va changer après ce Synode, dans les
relations entre les différentes Eglises orthodoxes?
Nul n’ignore que tout au long des 2000 ans du christianisme il a
existé des tensions et des désaccords entre les Églises locales. Ce fut
toujours le rôle des conciles d’y remédier afin de maintenir l’unité de
l’Eglise. Un des buts du saint et grand concile, comme je l’ai déjà dit,
est de témoigner de l’unité de l’ensemble de l’Eglise orthodoxe au
début de ce XXIe siècle. Et tout le processus préparatoire
préconciliaire pan-orthodoxe, avec sa méthode très difficile du
consensus, nous montre qu’il y a sur ce point la volonté de toutes les
Églises orthodoxes locales.
La croissance numérique des orthodoxes au-delà des
territoires traditionnels de l’Europe de l’Est et de la Méditerranée (en
Afrique du sud et du centre, dans l’Extrême-Orient, en Amérique latine
et en particulier en Europe occidentale, avec son secolarization) est en
train de changer la spiritualité et la façon de vivre leur la foi au
sein de l’orthodoxie?
La spiritualité et la foi orthodoxe ne sont pas susceptibles au
changement. Bien au contraire, c’est ce qui attire les hommes vers
l’Eglise orthodoxe qui témoigne depuis des siècles, par sa Tradition
vécue, de la Révélation du Fils de Dieu qui est la Vérité.
Qu’est qu’il va a changer après ce Synode, dans les
relations entre l’orthodoxie et les autres Églises chrétiennes, en
particulier avec l’Eglise catholique romaine, et les autres religions?
L’Eglise orthodoxe fut l’une des pionnières du mouvement œcuménique
avec la publication en 1920 d’une encyclique du Patriarcat œcuménique
de Constantinople. Alors que l’Eglise catholique romaine commençait à
s’ouvrir au dialogue œcuménique durant son concile Vatican II
(1960-1965), l’Eglise orthodoxe réitérait sont engagement au mouvement
œcuménique lors des conférences panorthodoxes de Rhodes. Dans le texte
approuvé sur « Les relations de l’Eglise orthodoxe avec l’ensemble du
monde chrétien » que l’on peut lire sur internet et qui sera discuté au
Concile, il est réaffirmé l’engagement de l’Eglise orthodoxe pour
l’unité chrétienne et son engagement au mouvement œcuménique et aux
dialogues théologiques bilatéraux avec les différentes Églises et
confessions chrétiennes. Il est par ailleurs rappelé que les difficultés
rencontrées dans ces dialogues ne doivent pas suspendre définitivement
ces dialogues. Et ce texte condamne fermement par ailleurs toute
tentative de division de l’unité chrétienne. Par conséquent, sur la base
de ce texte, nous sommes en mesure de penser qu’après le concile
l’Eglise orthodoxe va poursuivre et approfondir ses relations avec les
autres Églises chrétiennes. Quant à la relation avec les autres
religions (non-chrétiennes), rien n’est dit dans les textes préparés
pour le concile.
Pourquoi on n’est pas parvenu à un accord sur les deux
autres questions à l’origine mis sur l’ordre du jour du Synode:
l’autocéphalie et la manière de sa proclamation, et les Diptyques
(l’ordre de préséance des 14 Eglises orthodoxes)?
Comme je l’ai déjà dit, la méthodologie retenue en 1976 était
fondée sur le principe du consensus et non de la majorité. Ceci implique
que toutes les Églises doivent être d’accord à l’unanimité sur un
texte. Ce ne fut pas le cas pour les textes sur l’autocéphalie et sur
les diptyques. C’est pourquoi ces thèmes qui nécessitent un mûrissement
dans la réflexion des Églises locales orthodoxes ont été reportés à un
concile ultérieur et ne figurent pas à l’ordre du jour du saint et grand
concile convoqué en juin prochain.
Comment pensez-vous que l’Eglise catholique doit accompagner le Synode?
Avant tout par la prière. Nous connaissons des communautés qui
prient déjà depuis fort longtemps pour le succès de la préparation du
concile. Nous les remercions, et nous nous recommandons à la prière de
tous pour le succès du concile. Par ailleurs, des observateurs seront
invités à assister à l’ouverture et à la clôture du concile, de même que
des journalistes accrédités, ce qui permettra de maintenir un lien
entre le concile et le reste du monde chrétien et du monde en général et
pour eux de suivre les travaux du concile.
– Propos recueillis par Mauro Castagnaro