Samuel Lieven, à Kolymbari (Crète), La-Croix
Le concile orthodoxe réuni en
Crète jusqu’au samedi 25 juin doit trancher sur le statut des diasporas
présentes dans le monde entier.
Bien que minoritaires, ces
dernières constituent des relais politiques et économiques vitaux pour
leurs Églises, auxquelles elles fournissent de plus en plus de cadres et
d’évêques.
En votant, mercredi 22 juin, le texte sur la diaspora, l’un des cinq
inscrits à son ordre du jour au terme d’un demi-siècle de préparation,
le concile orthodoxe actuellement réuni en Crète se penche sur l’un des
plus épineux problèmes du monde orthodoxe. Quel statut conférer aux
communautés présentes à l’étranger du fait de leur histoire et des
mouvements migratoires ?
« Ethnophilétisme »
« La question
est d’autant plus cruciale que les diasporas sont aujourd’hui l’espace
où les relations interorthodoxes se concrétisent le mieux, souligne le
P. Nicolas Kazarian, expert auprès du Patriarcat de Constantinople et
prêtre à Philadelphie (États-Unis). En outre, de plus en plus d’évêques
en sont issus, ce qui entraîne un glissement du centre de gravité de
l’Orient vers la diaspora. »
Tant que la juridiction des Églises
autocéphales – indépendance totale en langage orthodoxe – s’exerçait sur
le territoire d’un seul pays (l’Église roumaine en Roumanie, l’Église
serbe en Serbie, etc.), la question ne se posait pas. Mais avec les
mouvements migratoires du XXe siècle, la plupart des Églises
autocéphales comptent des « diasporas » – un terme emprunté au judaïsme –
sur les cinq continents.
« Ces Églises exercent dès lors leur
juridiction au-delà de leurs frontières d’origine sur une base nationale
ou ethnique », explique le P. Gregorios Papathomas, professeur de
théologie à l’université d’Athènes et à l’institut Saint-Serge à Paris.
Outre l’empilement des juridictions (en France, par exemple, on compte
pas moins de douze évêques à la tête des différentes communautés), cette
pratique contredit une ecclésiologie orthodoxe fondée sur l’Eucharistie
et l’Église locale. La tendance fâcheuse à grillager les Églises dans
des ghettos ethniques ou nationaux a même été officiellement condamnée
en 1872 comme une hérésie, l’« ethnophilétisme ».
Les diasporas, relais des Églises mères
Quelle
solution envisager dès lors pour permettre à ces communautés de vivre
et de se développer, au lieu de se replier sur elles-mêmes ? L’idéal
serait de les regrouper sous l’autorité d’un seul évêque indépendant.
Toutefois, estimant que la situation n’est pas encore mûre pour que les
diasporas puissent accéder à l’autonomie, le concile a entériné la
solution provisoire sur la table depuis plusieurs années : la création
d’assemblées épiscopales dans les pays concernés afin d’y regrouper les
orthodoxes, favoriser leur coopération et encourager l’unité.
Un
tel dispositif existe déjà en France depuis 1975 et porte, depuis 1993,
le nom d’assemblée des évêques orthodoxes (AEOF). Elle est aujourd’hui
présidée par le métropolite Emmanuel. La plupart des pays d’Europe et
d’Amérique du Nord ont suivi cette voie.
Mais comme toujours dans
l’orthodoxie, la géopolitique entre aussi en ligne de compte. Les
diasporas représentent le plus souvent pour les Églises mères des relais
politiques et économiques de premier plan, notamment en Europe, aux
États-Unis et en Australie. Les patriarcats de Constantinople et
d’Antioche y puisent l’essentiel de leurs ressources financières.
Quant
à Moscou, elle s’en sert comme de véritables ambassades pour asseoir
son influence. En témoigne la récupération, ces dernières années, de la
plupart des Églises russes hors frontières qui étaient passées sous la
juridiction de Constantinople à l’époque soviétique. Ou encore la
construction d’une cathédrale flanquée d’un centre culturel à Paris, au
pied de la Tour Eiffel, un des endroits les plus visités au monde.
« Nous
assistons à un tournant des mentalités, considère le P. Gregorios
Papathoas. Pourquoi maintenir ce rempart géopolitique et ecclésiastique à
l’heure où l’Union européenne et la mondialisation consacrent les
échanges et la libre circulation des personnes ? Il est temps pour
l’orthodoxie de renoncer à l’étatisme du XIXe siècle… De ce point de
vue, le concile devra apporter des réponses. »